COMMUNS NUMERIQUES, REVUE DE PRESSE

Revue de presse – Les communs numériques (21 au 27 février 2025)

Logiciels libres : reconnaissance et évolutions notables

Cette semaine a été marquée par une reconnaissance importante pour un logiciel libre phare. QGIS, le système d’information géographique open source, a obtenu le statut de Digital Public Good décerné par la Digital Public Goods Alliance (Revue de presse du 21 février 2025 – Geotribu). Cette distinction souligne le rôle de QGIS en tant qu’outil aligné sur les Objectifs de développement durable, engagé dans les principes du logiciel libre, et accessible à tous sans barrière. Concrètement, être reconnu comme bien commun numérique renforce la légitimité de QGIS auprès des institutions et organismes internationaux, ce qui pourrait stimuler son adoption dans des projets liés à l’environnement, à la gestion des catastrophes ou à l’urbanisme. Cela illustre comment un projet open source peut servir l’intérêt général à l’échelle mondiale.

Sur le front des avancées techniques, un autre projet libre de longue date a franchi une étape très attendue. Le codec audio FLAC a publié sa version 1.5.0, intégrant enfin l’encodage multithread pour exploiter les processeurs multi-cœurs (FLAC – Features). Jusqu’à présent, l’encodage FLAC n’utilisait qu’un seul cœur, ce qui limitait ses performances sur les machines modernes. Cette amélioration, demandée de longue date par la communauté, démontre la capacité des communs numériques à innover de manière continue. Même après plus de deux décennies d’existence, le projet FLAC continue d’évoluer grâce aux contributions ouvertes, offrant ainsi aux audiophiles un outil libre plus efficace. L’implication est claire : les logiciels libres, soutenus par leurs communautés d’utilisateurs et de développeurs, peuvent rester à la pointe de la technologie et rivaliser avec les solutions propriétaires, assurant pérennité et confiance dans ces communs numériques.

IA ouverte : nouveaux modèles partagés et transparence

Dans le domaine de l’intelligence artificielle, l’ouverture des outils a connu une avancée significative avec l’annonce par IBM de Granite 3.2. Il s’agit d’une nouvelle génération de modèles de langage à la fois multimodaux et dotés de capacités de raisonnement, que l’entreprise distribue sous licence libre Apache 2.0 (IBM Expands Granite Model Family with New Multimodal and Reasoning AI). Les modèles Granite 3.2, disponibles notamment sur la plateforme Hugging Face, visent à offrir aux organisations des IA plus efficientes et accessibles, sans exiger des ressources de calcul démesurées. IBM met en avant cette approche d’« open solutions » comme un pas de plus vers une IA plus abordable et utile dans des cas d’usage concrets, estimant que “la prochaine ère de l’IA est celle de l’efficacité, de l’intégration et de l’impact réel” pour les entreprises.

Au-delà de l’annonce d’IBM, ce mouvement s’inscrit dans une tendance plus large à promouvoir des IA ouvertes pour renforcer la transparence et la collaboration. Récemment, lors du Sommet Action IA à Paris, la France avait souligné la « bataille de l’open source » face aux modèles fermés des géants américains, prônant le développement d’IA libres afin de partager plus largement les bénéfices de ces technologies. L’initiative d’IBM rejoint donc ces efforts en rendant ses modèles accessibles à la communauté. Concrètement, la mise à disposition de Granite 3.2 en open source signifie que des chercheurs, développeurs ou PME du monde entier peuvent étudier, améliorer ou adapter ces modèles à leurs besoins. Les implications sont doubles : d’une part, cela démocratise l’accès à des IA de pointe (par exemple, Granite 3.2 inclut un modèle visuel performant comparé à des modèles bien plus gros (IBM Expands Granite Model Family with New Multimodal and Reasoning AI)) et, d’autre part, cela augmente la transparence sur le fonctionnement des modèles, un point crucial pour la confiance du public. En somme, l’IA en open source progresse, soutenue à la fois par les acteurs publics et privés, dans l’objectif de bâtir des communs numériques autour de l’IA plutôt que de laisser ces outils stratégiques enfermés derrière des silos propriétaires.

Gouvernance du libre : enjeux juridiques et licences

La question de la gouvernance des communs numériques s’est invitée dans l’actualité juridique internationale. Une affaire aux États-Unis – le litige Neo4j vs PureThink – pourrait remettre en cause l’intégrité des licences libres si son issue confirmait la décision de première instance. Pour rappel, l’éditeur de base de données Neo4j avait distribué son logiciel sous licence libre AGPLv3, avant d’y ajouter par la suite des restrictions supplémentaires via une clause propriétaire. En 2022, un tribunal californien a donné raison à Neo4j, estimant valide cette modification unilatérale de licence. L’affaire est désormais devant la cour d’appel fédérale (9e circuit), et un verdict en sa faveur créerait un précédent juridique potentiellement dangereux. John Mark Suhy, le défenseur du côté open source (et dirigeant de PureThink), avertit que si la cour d’appel entérine la décision, « cela ne tuerait pas seulement la GPLv3, cela créerait un précédent permettant de saper toutes les licences open source, en autorisant les auteurs à imposer des restrictions imprévues et en érodant fondamentalement la confiance qui rend l’open source possible » (Adverse appeals court ruling could kill GPL software license • The Register). En clair, n’importe quel titulaire de droits pourrait tenter d’ajouter des clauses limitatives à un logiciel libre, ce qui trahirait l’esprit des licences de partage et brouillerait les certitudes juridiques des contributeurs comme des utilisateurs.

Cette perspective a provoqué une vive inquiétude dans la communauté du libre. Fait notable, la Free Software Foundation (FSF) – pourtant gardienne historique des licences GPL – n’est pas partie prenante directe dans ce combat, laissant M. Suhy le conduire presque seul (celui-ci a témoigné le faire pro se, à ses frais (Adverse appeals court ruling could kill GPL software license • The Register)). Heureusement, l’Software Freedom Conservancy (SFC) est intervenue en soutien en déposant un mémoire (amicus brief) auprès de la cour d’appel. La SFC y alerte que l’interprétation retenue en première instance, si elle était confirmée, « pourrait radicalement modifier la compréhension communautaire de la manière dont des “restrictions supplémentaires” peuvent être ajoutées ou supprimées » dans les licences libres. Autrement dit, cela brouillerait la portée de clauses pourtant explicites dans l’AGPL et les GPL, qui stipulent qu’une restriction ajoutée par un tiers peut être écartée par l’utilisateur. Au-delà du cas Neo4j, l’implication pour les communs numériques est la suivante : la solidité juridique des licences open source – socle de confiance indispensable pour collaborer à grande échelle – pourrait être affaiblie. Cette affaire met en lumière la nécessité d’un soutien accru (technique, financier et légal) aux mainteneurs et défenseurs des communs, afin de protéger le cadre qui permet à l’innovation partagée de prospérer. À l’ère où tant de logiciels critiques reposent sur des bases ouvertes, une insécurité juridique ferait peser un risque sur l’ensemble de l’écosystème numérique collaboratif.

Données ouvertes : initiatives mondiales et locales

Dans la sphère des données ouvertes, on observe des développements encourageants portés par la communauté internationale. L’Open Knowledge Foundation (OKFN) a annoncé les lauréats des mini-subventions Open Data Day 2025. Au total, 36 événements à travers le monde recevront chacun une aide de 300 $ pour organiser des ateliers, hackathons ou projets visant à promouvoir la réutilisation des données ouvertes (And the winners of the Open Data Day 2025 Mini-Grants are… – Open Knowledge Foundation blog). Ces événements se dérouleront durant la semaine de l’Open Data Day (1er au 7 mars 2025) et couvriront des thématiques variées : cartographie collaborative pour la résilience climatique, utilisation des données ouvertes en éducation, transparence dans la gestion des ressources publiques, etc.

Un accent particulier est mis sur l’Afrique francophone, où 14 projets lauréats seront soutenus grâce au parrainage de la Communauté d’Afrique Francophone des Données Ouvertes (CAFDO) (And the winners of the Open Data Day 2025 Mini-Grants are… – Open Knowledge Foundation blog). Par exemple, des ateliers au Bénin formeront des agriculteurs à l’usage de données ouvertes pour une agriculture durable, tandis qu’au Cameroun une initiative autour de Wikidata visera à améliorer la contribution locale aux communs de connaissance (données Wikimédia) pour le développement. Cette mobilisation internationale montre que les communs informationnels (données librement accessibles) sont de plus en plus perçus comme des leviers pour répondre à des enjeux de société. Le soutien financier et logistique d’organisations comme l’OKFN ou la CAFDO traduit une volonté d’essaimer la culture de l’open data jusque dans les communautés locales. L’implication, c’est qu’en outillant des citoyens, étudiants, journalistes ou développeurs un peu partout dans le monde, on renforce la capacité collective à utiliser l’information comme bien commun pour, par exemple, mieux planifier face aux inondations, lutter contre la désinformation ou améliorer des services publics. Cette dynamique s’inscrit d’ailleurs dans la thématique de l’Open Data Day 2025 – « des données ouvertes pour affronter la polycrise » – soulignant le rôle transversal que peuvent jouer les données partagées face à des défis globaux entrecroisés (changement climatique, crises sanitaires, etc.).

Parallèlement, au niveau local, des initiatives viennent renforcer l’écosystème des communs numériques. En France, la deuxième édition de l’événement AlpOSS (Alpes Open Source Software) s’est tenue le 20 février près de Grenoble. Destiné aux éditeurs et prestataires open source, aux collectivités locales et aux utilisateurs de solutions libres, ce rendez-vous a pour vocation de « favoriser les échanges, la collaboration et le développement économique autour de l’open source » (Alpes Open Source Software ce 20 février : tout ce qu’il faut savoir). Durant cette journée, des tables rondes et ateliers ont permis de discuter des modèles économiques du libre, de souveraineté numérique, de sécurité informatique, ainsi que de cas d’usages concrets de logiciels libres dans les services publics locaux (par ex. gestion de portail citoyen ou système d’information communal). Un espace d’exposition a facilité les rencontres entre acteurs du secteur, renforçant le réseau régional du libre. L’initiative AlpOSS illustre la volonté des territoires de mutualiser leurs efforts pour adopter des solutions partagées : en tissant des liens entre collectivités et fournisseurs open source, elles visent à construire ensemble des alternatives numériques pérennes et maîtrisées. De telles collaborations locales autour des communs numériques contribuent in fine à leur diffusion plus large dans la société. Elles créent un cercle vertueux où plus d’utilisateurs publics ou privés s’impliquent dans le libre, ce qui améliore les outils partagés, et ainsi de suite. En somme, les communs numériques progressent autant via les grandes initiatives internationales que par ce maillage d’acteurs locaux engagés, tous conscients de l’impact technologique et sociétal d’un numérique ouvert et collaboratif.

Sources :

1 commentaire

  1. Article très bien structuré, merci.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *